XII

 

Évidemment, j’ai été avant-hier très au-dessous de moi-même. Cette Annie !… Quelle défiance de moi, quelle insuffisance, au lieu de lui répondre vertement, de la battre au besoin, m’a réduite à rire sottement, tout à coup, d’un saut de chatte ? J’aurais dû… ah ! je me dégoûte ! sa petite tirade méritait… Tu vieillis, Claudine ! Mais aussi, pourquoi faut-il que le meilleur de moi soit absent ?… Cette Annie ! Elle se vantait de « penser ». En vérité, je commence à le croire.

 

« Le meilleur de moi » écrit ce matin une singulière lettre. J’y devine qu’il a dû, la nuit précédente, rêver contre moi, et je n’en induis rien de bon. Lorsque ses rêves traînent ainsi sur toute sa journée, comme un lambeau attardé de fumeux brouillards, je m’inquiète. À travers la distance, je vois son mauvais sommeil coupé de soupirs, la convulsion légère qui agite sa main droite de minute en minute, petite danse de Saint-Guy d’écrivain surmené…

 

Il a rêvé que je le trompais, pauvre cher chéri ! Il a honte de me le raconter, honte de l’avoir rêvé ; mais il confond volontiers songe et pressentiment, comme une modiste éprise.

 

« Tu comprends, Claudine, je suis malheureux parce que je suis vieux… » Oh ! ce refrain qui m’attendrit et me fait rire… » Ma petite fille, rassure-moi. Tu as une espèce d’honnêteté qui me convainc toujours, et je suis sûr que tu me le raconterais, si tu me trompais… Ce serait une méchanceté bien méchante de ta part que de dire au fond de toi-même : « Je le trompe, mais je n’ose pas le lui avouer, ça lui ferait trop de peine. » N’est-ce pas ? si tu avais envie de quelqu’un, tu viendrais me demander : « Donne-le moi ! » Et je te le donnerais, quitte à le faire mourir de je ne sais combien de morts après… »

 

Mon pauvre Renaud ! Il a dû écrire encore tout troublé d’une vilaine image, angoissé et perdu dans sa chambre aux murs miroitants… Pourvu que ma réponse garde assez de ce dont j’ai voulu l’imprégner, ma réponse que j’aurais voulu écrire avec une encre joyeuse, couleur d’orange, ou du bout d’une paille enflammée, du bout d’un tison rose et noir, sur un papier de velours chaud qui ressemblerait à ma peau… Les lettres d’amour, on devrait pouvoir les dessiner, les peindre, les crier… Pourvu qu’il la lise avec l’accent !

 

Je ne lui ai pas parlé de Marcel, naturellement. L’heure eût été mal choisie. Écartons de lui les petites pierres : que sa convalescence ne trébuche pas, surtout !

La retraite sentimentale
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